Le président de la Fédération Française de Rugby et numéro 2 de World Rugby, Bernard Laporte, nous a accordé un entretien pour faire un point sur les dossiers en cours et un tour d’horizon des réformes menées par les instances de l’ovalie. De la gestion de la crise du Covid19, au plan d’aide aux clubs amateurs, en passant par la genèse de la division « Nationale« et sa médiatisation, ou encore l’évolution du calendrier international, le boss du rugby français n’élude aucune question. Fier de voir la fédérale 1 redevenir attractive, en pleine réflexion sur le modèle économique futur de l’échelon intermédiaire avec la Pro D2, celui qui sera probablement candidat à sa réélection à la tête de France Rugby, dresse les perspectives et se projette dans l’avenir, en attendant le temps prochain des annonces. Focus sur un président de la FFR qui est monté au front et a mis les mains dans le cambouis durant une crise sanitaire et économique sans précédent, mais qui ne saurait tarder,d’ici peu, à reprendre son bâton de pèlerin, pour rebattre la campagne.

Bernard, nous vous avions laissé en début de confinement avec un rugby qu’il fallait mettre en ordre de match face à cette crise sanitaire qui a surpris et par sa brutalité physique tout d’abord et par la désorganisation qu’elle a provoquée dans la toute la société et dans le rugby qui n’y a pas échappé. Entre temps, de l’eau a coulé sous les ponts, des réformes ont vu le jour, vous avez été élu N°2 du rugby mondial. Il y a aussi eu un plan de relance pour le rugby amateur, on va donc dire que, depuis quelques mois, vous n’avez pas chômé à la FFR ?
Oui on n’a pas chômé, sous l’impulsion de notre trésorier Alexandre Martinez, la Direction Générale de la Fédération Française de Rugby a effectivement mis en place un plan de relance de 35M d’euro qui va un petit peu servir à absorber cette crise. Cela va un petit peu servir d’amortisseur parce-que pour les clubs et surtout dans l’année qui vient, l’incertitude réside dans le fait de savoir si les partenaires vont suivre, si les sponsors seront aussi nombreux qu’ils étaient mais aussi si les collectivités locales répondront comme elles le faisaient. Encore une fois, on se devait d’accompagner nos clubs, on l’a fait avec un réel plaisir et surtout parce-que les ressources de la Fédération Française de Rugby étaient solides. Cela nous a permis de mettre rapidement en place ce plan de relance.
On parle beaucoup de Fédérations qui s’inquiètent pour l’avenir financier. Qu’en est-il à la Fédération Française de Rugby ?
Je le répète, nous avons la chance d’avoir une solidité financière importante qui nous a permis de mettre ce plan de relance en place et qui va nous permettre aussi de faire plusieurs projets. Nous avons plusieurs idées et projets en tête donc, notre souci à nous est de redistribuer. La politique est simple : on rentre beaucoup d’argent mais on redistribue beaucoup aux clubs. Ca a été le leitmotiv de notre mandature et on continuera à le faire.
Pendant cette crise du Coronavirus, il a aussi fallu stopper les compétitions et les réorganiser pour l’année suivante avec, au début, une volonté indéniable : que des montées, pas de descente. Malheureusement, il y a eu un arrêt à l’échelon Pro D2 ?
Effectivement, c’est pour cela qu’ils ne sont pas contents et moi le premier du fait que des clubs de Fédérale 1, en l’occurrence Albi et Massy, ne montent pas en Pro D2. Alors que nous, de la base jusqu’en haut, nous avions décidé de garder cette dynamique des montées, car on sait ce que représente une montée pour un club. Par contre, nous avions évité les descentes parce-que mathématiquement, personne n’était condamné ou très peu de clubs donc, nous ne pouvions pas dire » vous descendez alors que vous n’avez pas fini la saison « . C’est dramatique, on sait qu’un descente ‘est un accident industriel pour les clubs. On a gardé la dynamique des montées et, je le répète, nous avons été déçus du fait que les clubs professionnels n’acceptent pas de clubs de Fédérale 1. C’est ce qui nous incité à nous réorienter et nous avons pris la décision de mettre en place cette fameuse Nationale. C’est un projet que nous avions envisagé pour l’année d’après suite à un séminaire il y a 18 mois avec tous les présidents de Fédérale 1 où nous avions effectivement discuté de cela. Nous avions dit qu’on reparlerait en Juin 2021 et qu’on essaierait de ré-envisager comment continuer, si c’était le bon principe ou pas. Là, avec 60 clubs et le fait qu’Albi et Massy ne montent pas, je crois que c’était l’année pour changer les choses. J’ai personnellement pris le soin d’appeler les 60 présidents de Fédérale 1, je l’ai fait avec eux, je ne leur ai pas dit » ce sera comme ça et pas autrement « . La preuve, c’est qu’il y a eu un séminaire en visio, que les gens ont voté et que 87% des clubs ont voté pour.
87% qui ont voté pour, quelques uns qui ont voté contre. Lorsque vous écoutez les arguments de Saint-Jean-de-Luz, par exemple, vous arrivez à les entendre et à comprendre qu’Eric Bonachera est sur un modèle purement amateur ? Il pourrait peut-être exister sportivement en Nationale mais qu’économiquement, il préfère rester en Fédérale 1 où il a là-aussi de belles joutes à jouer
Bien sûr que je l’entends et surtout, je le félicite parce qu’avec un budget moins conséquent que les autres, ils étaient 3es de leur poule. Ca démontre de réelles compétences de leur staff et des joueurs, et moi, il n’y a que ça qui m’intéresse, il n’y a que le sportif. C’est vrai que les clubs ont le droit de dire » est-ce qu’on va aller bagarrer tous les dimanches avec des clubs qui ont des budgets plus conséquents et qui sont regroupés ? « . Ca veut dire qu’il n’y a pas de match » facile » mais chacun a le droit de dire non et c’est ce que le président de Saint-Jean-de-Luz a fait. Moi, j’ai beaucoup de reconnaissance pour sa décision.
Il va falloir maintenant trouver un modèle économique pour cette Nationale. Il y a déjà eu une négociation avec la Ligue Nationale de Rugby qui a été un bras de fer pour essayer de faire rentrer la Ligue dans la danse. Est-ce qu’il était important qu’il y ait ce co-financement LNR / FFR ?
Oui, c’était important parce-que c’est une véritable passerelle entre le monde amateur et le monde professionnel avec 14 clubs susceptibles d’aller rejoindre l’échelon supérieur parce qu’on s’aperçoit depuis un certain temps que tous les clubs qui montent ont de la difficulté à y rester. Si je prends l’exemple de Rouen et de Valence et surtout, quand je vois les analyses du président de Rouen qui dit » il y a une grosse différence entre la Fédérale 1 et la Pro D2, il nous a fallu 4 à 5 mois pour nous adapter « . Avec cette Nationale, les matches seront tellement importants qu’il y aura moins de différence sportivement avec la Pro D2, c’est une évidence. Mais il faudra du temps au temps et je remercie la Ligue Nationale de Rugby de nous avoir accompagnés dans ce co-projet car, effectivement, nous l’avons monté à deux, FFR et LNR. Donc, c’est bien qu’ils aient participé au financement de cette catégorie.
On parle aussi de la médiatisation de cette Nationale, comme on a pu le voir dans le Midi Olympique. Est-ce que la chaîne l’Equipe sera le diffuseur l’année prochaine ?
Oui, il y a en effet des négociations et j’espère que ce sera médiatisé, surtout pour les saisons après. J’espère que l’on ira chercher des droits TV conséquents parce-que je crois que ça le méritera. Je suis convaincu qu’il y aura des beaux matches comme il y a des beaux matches en Pro D2. Mais, chaque chose en son temps, l’Equipe TV a pour le moment un contrat que l’on respecte et si cela peut être eux les diffuseurs dans les années suivantes, ce sera avec grand plaisir. N’oublions pas ce que les gens ont fait pour nous.
L’équipe de France est en clair sur France Télévision, la Fédérale 1 est en clair sur la chaîne l’Equipe. On a quand même l’impression que la FFR a la volonté de rendre son rugby plus accessible au grand public ?
Bien sûr que l’on a envie que tous les supporters de clubs amateurs puissent suivre le rugby. Vous savez, les audiences sont conséquentes et l’Equipe TV ne s’en plaint pas. On dit même que certaines audiences sont plus importantes que certains matches de Pro D2 même s’il est évident qu’il y a une chaîne cryptée et une chaîne publique de l’autre. Mais, encore une fois, je suis très reconnaissant envers les gens qui nous accompagnent et, pour le moment, l’Equipe TV est à nos côtés.
Est-ce qu’un » naming » pour cette division serait également envisageable pour créer un modèle économique ?
Oui, bien sûr, ça peut être envisageable comme ça peut l’être dans les compétitions professionnelles. Maintenant, n’oublions pas que nous sortons d’une grosse crise financière et qu’à court terme, nous ne trouverons pas un partenaire aussi facilement que ça. Mais à terme, il est évident qu’il faudra trouver un naming, avoir des droits TV conséquents pour accompagner cette Nationale.
Comme vous l’avez dit, on a vu que certains clubs de Fédérale 1 avaient un peu tapé des pieds quand l’annonce des grosses écuries qui partaient a été faite. Les poules sont sorties et vous avez quand même essayé d’y mettre un impact géographique, à quelques exceptions prêt car on ne peut pas mettre tout le monde ensemble. C’était aussi une volonté de la Fédé qu’après ce coronavirus, les clubs aient le moins de déplacements possibles et surtout des derbys rémunérateurs ?
Bien sûr, régionaliser, qu’il y a un maximum de derbys parce-que cela génère des recettes conséquentes, on le sait. Malheureusement, c’est une évidence qu’on ne peut pas le faire pour tout le monde : quand on regarde la cartographie, c’est vrai qu’il y a 3 / 4 clubs qui sont dans le nord et il faut jouer contre eux, c’est une réalité. Donc oui, on régionalise un maximum mais pour certains clubs, c’était difficile.
Pour vous, la Nationale sera une réussite s’il y a une vraie passerelle qui se fait entre Fédérale 1 et Nationale ? Parce-que, s’il n’y a que 2 ou 3 clubs qui peuvent monter, ça serait faire un peu un » goulet d’étranglement « . Pour que ce soit une vraie réussite, il faudrait qu’il y ait entre 7 et 9 clubs qui veulent vraiment monter dans cette Nationale ?
Je crois qu’ils y sont aujourd’hui. Il y a plus d’une dizaine de clubs qui sont susceptibles d’intégrer la Nationale. C’est une bonne chose parce-que, ça peut être difficile pour certains clubs de dire à leurs joueurs qu’ils iront en Pro D2 par contre, aller en Nationale qui est une division semi-professionnelle, c’est accessible pour un plus grand nombre de clubs. Et surtout, c’est excitant et motivant à l’entrée d’une saison de se dire » on a la possibilité de monter à l’échelon supérieur « . D’abord, d’être champion de France et deuxièmement, d’aller à l’échelon supérieur car je crois qu’en effet, il y avait beaucoup de clubs qui n’avaient plus cette capacité à aller jouer en Pro D2 et qui, du coup, retrouvent cet enthousiasme de se dire » nous, on pourra aller en Nationale et c’est notre objectif « . Donc, je crois que c’est aussi une bonne chose pour eux et croyez-moi, la Fédérale 1 composée comme elle est composée, va être, je le répète, très intéressante avec un maximum de derbys et des matches de très bon niveau, j’en suis convaincu.
On va également s’adresser au N°2 du rugby mondial car on parle aussi de réforme des calendriers. Quel impact cela pourrait-il avoir sur le rugby amateur ? Comment s’organiserait ce dernier si cette réforme avait lieu ?
Il n’y aura pas de réforme sur le rugby amateur. Il est tout simplement question de déplacer la fenêtre du rugby international de Juillet à Octobre. Encore une fois, ce n’est pas fait, c’est une demande et sachez que ce n’est ni la Fédération Française de Rugby ni la Ligue Nationale de Rugby qui commandent. A World Rugby, il y a toutes les Fédérations qui votent, c’est comme ça et c’est la démocratie. Encore une fois, je serai porteur de ce que veulent les clubs français, on doit être ensemble mais ne pas oublier qu’on ne commande pas le rugby international. Et donc, si certains font cette demande, c’est parce qu’ils en ont besoin. Il y a des Fédérations dans le sud mais il y en aussi dans le nord qui souhaitent ce changement donc, on verra. Encore une fois, allons-y doucement, cela ne révolutionnera absolument rien du tout pour le monde amateur. Mais je voudrai surtout que l’on parte sur un terrain des calendriers adopté par tous : il n’est pas question d’imposer ou de contraindre. Il est au contraire question de partir sur quelque chose d’excitant avec, pourquoi pas, la création de nouvelles compétitions. Ce que moi je souhaite voir naître, c’est une Coupe du Monde des clubs parce-que j’ai été entraîneur de club, champion d’Europe et je sais qu’une Coupe du Monde des clubs, ça nous manquait, cette excitation de se dire » on est le meilleur club du monde « . Pourquoi ne pas la créer ? Bien sûr, il ne pourra pas exister une Coupe d’Europe, une Coupe du Monde des clubs et un Top 14, ça, ce n’est pas possible. Il ne faudra certainement créer que deux compétitions, enfin une à côté du Top 14. Tout ça est à discuter avec les présidents de clubs, j’en ai consulté beaucoup, je déjeune avec deux d’entre eux prochainement et j’en ai vu 5 pour le moment. Il est question de parler, d’argumenter et non pas d’imposer quoi que ce soit. Mais effectivement, au niveau mondial, tout le monde parle d’une harmonisation et, non pas d’une révolution mais d’une réadaptation et d’un réaménagement du calendrier international.
C’est de toute façon le sens de l’histoire ?
Oui, c’est le sens de l’histoire et, encore une fois, il ne faut pas aller contre l’histoire. Un maximum de clubs le souhaite, et je répète que le vote n’a pas eu lieu, on discute et il y a eu un forum où tout le monde s’est exprimé. Je ne sais pas quel sera le résultat du vote mais je sais qu’un maximum de Fédérations poussent et le souhaitent donc, nous verrons et nous analyserons. Le rugby, ce n’est pas Bill Beaumont et Bernard Laporte, Bill est le président et je suis le vice-président.
Comme sur le terrain, c’est un collectif ?
Oui, World Rugby, ce sont toutes les Fédérations, 124 Fédérations qui sont affiliées à World Rugby. C’est la Fédération Internationale et on se doit de l’écouter.
On va finir avec la question bonus, celle que tout le monde se pose : est-ce que Bernard Laporte sera candidat à sa propre succession à la FFR ? Le rugby fédéral et amateur veut savoir !
Chaque chose en son temps. Vous savez, j’ai beaucoup œuvré depuis 3 mois et le Covid, c’est vrai qu’il a fallu faire beaucoup, beaucoup de réunions et être d’arrache-pied auprès de nos clubs. En plus, j’avais en parallèle l’élection à World Rugby et une fois que cette dernière a eu lieu au mois de Mai, les réunions se sont enchaînées. Il y avait une réunion par jour donc, j’ai passé mon temps à faire fonctionner la Fédération Française de Rugby et à m’adapter à World Rugby et à toutes les commissions. Il y en a une dizaine, je suis devenu président de la commission du jeu et j’en suis très fier car c’est la première fois qu’un français va œuvrer à cette présidence. Moi qui suis un passionné de rugby, j’ai pris à mes côtés les meilleurs entraîneurs du monde ainsi que de grands joueurs comme Parisse, Brian O’Driscoll, Bryan Habana et j’espère qu’ils diront oui. Nous allons réfléchir sur l’évolution du jeu, les règles du jeu, plus de vitesse dans notre jeu, quel sera le rugby de demain … tout cela me passionne. J’ai passé beaucoup de temps au sein de la Fédération Française de Rugby et de World Rugby et maintenant, je vais commencer à regarder l’avenir. Je ferai des annonces plus tard mais prochainement, bien sûr.
Pour l’instant, on va dire que vous dressez les perspectives ?
Exactement
On vous remercie d’avoir répondu à nos questions et on vous souhaite le meilleur pour tous les défis qui vous attendent
Et merci à vous de ce que vous faîtes pour le rugby amateur
Propos recueillis par Loïc Colombié
