Alexandre Albouy est de ces coachs atypiques qui cassent les codes et les conventions pré-établies. Peu adepte de nombre de préceptes qui entourent le rugby moderne, l’ex demi de mêlée du Castres Olympique et du Stade Français se raccroche à l’essence même du sport la notion de plaisir. A quelques heures d’une demi finale aller d’accession en Pro D2 face à Massy, c’est un coach adjoint de Mathieu Bonello détonnant et totalement à contre pied du stress ambiant entourant ce genre de rencontre qui s’est présenté en conférence de presse. L’ex international français nous a dévoilé sa gestion particulière des émotions au milieu du brouhaha de sentiments qui entourent une rencontre couperet, tout en nous révélant une partie de la recette qui fait de son duo avec Mathieu Bonello une réussite. Focus sur un technicien qui voit le rugby plus comme un jeu que comme un enjeu.

Tu es peut-être un peu le porte-bonheur de Mathieu car, j’ai regardé, chaque fois que vous entraînez ensemble, vous allez en phases finales ?
Je ne sais pas (rires).
Ou alors, c’est que le binôme fonctionne bien ?
Je pense et j’espère. Mathieu, c’est l’énergie, pour répondre à ta question, peut-être que je suis la chaussure qui lui permet de courir un peu plus vite et un peu plus longtemps. C’est une complicité, vous dire qu’on est tout le temps d’accord n’est pas la vérité mais en tous cas, on échange et les choses avancent comme ça. Je veux revenir sur une image car je vois des gamins sur la piste en train de s’amuser et de prendre du plaisir et les joueurs, comme tout le monde, ont commencé à en prendre à cet âge-là quand ils ont fait l’école de rugby. En fait, les phases finales font remonter tout ça donc avant de parler de Pro D2, d’ambition de club, de tout ce que voulez, ce que les joueurs vivent, c’est de la ferveur, c’est voir les familles dans les tribunes, voir des drapeaux et ça, ça amène du plaisir et du bonheur au-delà de tout le contexte administratif / rugby.

En parlant de contexte, on ne voit pas de joie intense, vous banalisez presque une demi-finale, quand on entend votre discours » on y est, c’est cool » et pas plus. C’est un choix ou est-ce vraiment le cas ?
On peut me sentir parfois décalé mais c’est comme ça que je sens le rugby et là, comme je vous dis, je me régale en voyant les gamins parce-que c’est ça le rugby. On a beau parler de télé, de contrat, de tout ce que vous voulez mais, à la base, le joueur a fait un sport pour ça quand il était petit et j’espère que les joueurs vont prendre un plaisir énorme à jouer un match comme ça, au-delà du résultat, qu’ils puissent s’amuser et vivre une histoire entre eux car c’est de ça dont ils se rappelleront.

Il y a aussi la notion de fierté, celle de porter un maillot, de faire se lever un stade et une ville et c’est cette notion qui est importante ?
Exactement, c’est ça, la tension qu’il peut y avoir avant un match, quand on se serre, les regards, les petits mots qu’il peut y avoir entre eux, le terrain avec les gens dans les tribunes, les familles, les supporters et tout ce qui va se passer après parce qu’on aura donné le meilleur sur le terrain et moi, je veux qu’ils prennent du plaisir là-dedans.

A ce moment de la saison, on est dans du tout petit détail, tout le monde sait ce qu’il a à faire ?
Oui et on va bien sûr finaliser la semaine comme ça. On a maintenant passé 10 mois ensemble, on a construit, on vous a souvent parlé de construction et cette dernière ne s’arrête jamais, ma maison a 20 ans et je continue à faire plein de choses, on rénove, on refait. Aujourd’hui, évidemment, on est plus dans l’affûtage et dans la fraîcheur physiquement et dans le rugby, on va chercher plus de détails car on connaît le contexte général car on l’a bossé toute la saison.

Il y a quatre ans de cela, lorsque vous avez été champions de France avec Lavaur, il y avait eu un 8e de finale contre l’Avenir Valencien où, comme on dit, vous aviez un peu le cul dans les ronces. Vous vous en sortez par miracle et, à partir de là, on sait que tous les gens de ce groupe ont dit » on ne sait pas si on gagnera mais on ira loin « . Quel a été le match qui vous a un peu fait penser à ça cette saison ? Peut-être VRDR ?
Pourquoi par miracle ? Ce n’était pas par miracle (rires). On avait fait un très beau match à l’aller, on était allé là-bas avec 5-0 dont ce n’était pas un miracle. Et non, il n’y a pas de match qui nous y ont fait penser car chaque match est différent, moi, je ne regarde pas plus de 15 jours derrière donc non. Par contre, la saison s’est construite avec des hauts et des bas comme à chaque saison mais le groupe est toujours resté uni et c’est ça que je retiendrai. On a toujours su rebondir après des échecs ce qui prouve que le groupe est sain. Pour répondre à ta question, et même si je relativise, il y a peut-être le match de Nice ici à la maison et le match de Dax qui se sont déroulés avec des scénarios inverses en notre faveur ou en notre défaveur et qui font peut-être prendre conscience au groupe qu’un match dure 80 minutes et qu’il ne fallait jamais lâcher, qu’on soit devant ou derrière. Je trouve que c’est de l’expérience collective qu’ils ont prise et je disais justement qu’en fait, il faut vivre ces moments-là. Ils l’ont vécu sur ces matchs et je pense que ça a été des moments importants dans la construction de la saison.

Pour toi, VRDR n’est pas un match déclic ? Quand ils marquent cet essai qui est refusé et qu’ils prennent un rouge, vous passez un peu par toutes les émotions. Si l’arbitre de touche ne voit pas le rouge, c’est quand même mal engagé ?
A ce moment-là oui mais je prends tous les matchs, il y a toujours quelque chose à en tirer. Tous les lundis, on fait des retours pour tirer des choses, qu’elles soient positives ou négatives, et pour se construire. Il y a la victoire à Chambéry, celle à Blagnac, les défaites ici, celle contre Soyaux-Angoulême au Stadium où on prend 30 points et celle chez eux où on prend aussi 30 points, on en retire des choses et on apprend.

Tu parlais de Nice et de Dax qui sont des matchs sur lesquels vous avez eu un moment de faiblesse qui vous a coûté cher contre Nice et où vous avez su réagir contre Dax. Il y a encore eu un petit moment de difficulté contre Chambéry donc est-ce qu’il y a des choses à régler ? Qu’est-ce qui cloche pour avoir des trous d’air comme ça ?
C’est loin d’être un trou d’air mais il y a eu des faits de match. Il y a un essai qui ne me dérange pas, Chambéry est une belle équipe et le premier essai est pour eux, c’est leur jeu. J’ai même dit aux joueurs qu’ils avaient bien défendu et, à partir de là, Chambéry a le droit de jouer et les phases finales, c’est ça, les équipes ne lâchent pas. C’était 80 minutes, là, on part pour 160, il y aura des hauts et des bas, ça ne sera pas parfait et je pense que les joueurs sont conscients de ça et c’est important. Ensuite, on prend un essai en contre, ça arrive mais ce que je retiens au niveau des joueurs, c’est que la construction de la saison a peut-être fait qu’ils savaient qu’il restait 40 minutes et que rien n’était terminé.

Sur ce point-là, vous avez grandi car vous avez réagi dès le début de seconde mi-temps. Vous avez su vous reconcentrer sur ce qui fonctionnait ?
Ça, ce sont les joueurs. J’avais donné cet exemple où on dit à son enfant » ne va pas toucher la cheminée » mais tant que le gamin ne s’est pas approché ou n’a pas touché la vitre, il ne sait pas que c’est chaud. Donc, il faut le vivre et c’est aux joueurs de le faire.

Vous les avez donc rassurés. Est-ce que dans ces périodes de phases finales, où il y a beaucoup de petits détails à régler, vous les coachs n’avez pas plus un rôle de régulateurs psychologiques au niveau du groupe ?
Si, bien sûr. On parlait de la gestion des émotions et, avec Mathieu, on a la chance d’avoir vécu beaucoup de matchs de phases finales donc on sait l’importance que ça peut avoir. Il faut de l’émotion car c’est ce qui nous fait vivre et j’en reviens à ces moments qui sont des moments de plaisir mais, effectivement, il faut arriver à gérer cette émotion sur le terrain. Il ne faut pas l’oublier, elle est là, elle existe, quand les supporters chantent, quand les familles sont là, ça existe et il faut prendre cette énergie pour la retranscrire positivement sur le terrain. Notre rôle est de les orienter, tous les joueurs sont différents et peut-être que ce que l’on dira à l’un, il faudra le dire différemment à l’autre, ce sont des petits mots du quotidien.

Pendant les trois premières minutes, on a quand même senti cette émotion auprès des joueurs. Ils n’étaient pas tremblants mais un peu pris par l’émotion, ils n’avaient pas l’habitude de voir le Stadium comme ça. Même s’il n’y avait que 3 500 personnes, il y avait de l’ambiance, de la ferveur et un truc qui se dégageait ?
Oui, il y a toujours ce premier ballon, ce premier plaquage et après, le match se fait. Le joueur fait sa première mêlée et pour un première ligne, c’est hyper important comme la première touche, le premier plaquage, le 9 va faire sa première passe, le 10 son premier jeu au pied. Ce sont des moments importants dans ces matchs-là.

Je vais m’adresser à l’ancien joueur : vu le style de jeu que pratique Massy, est-ce que c’est une équipe dans laquelle tu aurais aimé évoluer ?
Oui.
J’étais sûr que tu allais me dire ça. Concernant le public, on t’a même entendu communier avec lui dimanche ?
C’était pour aider car je sentais que les joueurs en avaient besoin, on parlait des émotions tout à l’heure et ce sont des moments où les joueurs ont besoin d’être soutenus. On a la chance à Albi, chose que je découvre cette année mais que j’avais déjà vu quand j’étais joueur, d’avoir un soutien des bénévoles depuis plusieurs années qui est énorme. Ils sont toujours à 100% et là, j’ai envie de leur dire » allez-y, c’est le moment, donnez parce-que les joueurs en ont besoin « .

Comment est-ce que tu vis ces émotions, toi qui es beaucoup dedans, depuis le bord du terrain face à un stade qui vibre ?
Mais je n’en ai pas ! (rires)
Tu parles tout le temps d’émotions mais tu n’en as pas ?
Ma femme parle des émotions avec Mathieu et ils sont d’accord pour dire que moi, je n’en ai pas et que je suis froid (rires). Non, je suis comme tout le monde, j’en ai, j’ai le ventre qui se serre mais quand je me compare aux autres, ça a toujours été une force d’arriver à assez bien les gérer. En fait, c’est pour ça que j’aime ces moments-là, c’est quand je sens que ça s’affole autour de moi que je commence à me sentir bien.
Propos recueillis par Loïc Colombié


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