Les débats qui assaillent actuellement la fédérale 1, ne seraient-ils pas la quintessence d’un mal profond qui étreint l’ovalie hexagonale ? Le Coronavirus sera-t-il le ferment d’une fracture sociale du rugby , dont les prémisses couvaient depuis de nombreuses années ? La question peut se poser, tant depuis quelques semaines, le ballon ovale français n’a jamais eu autant de rebonds capricieux, poussant un sport dont la cohésion est un des fondamentaux, à s’entre-déchirer.
Le rugby, à force d’une course effrénée vers des sommets sportif et financiers toujours plus hauts, ne serait-il pas en train, tel Icare de se brûler les ailes ? Le contexte actuel peut le laisser penser, tant sur l’autel d’une pandémie sanitaire mondiale, les maux d’un sport dont « les valeurs » sont devenues un paravent, viennent de ressurgir aussi brusquement qu’ils étaient ancrés dans les tréfonds de sa sociologie.
La fédérale 1, brassage du rugby professionnel et amateur, passerelle entre ces deux rugbys qui coexistent depuis plus de 2 décennies, en est l’exégèse au vu des questionnements qui la traversent. Une fracture entre professionnels et amateurs se fait jour et pourrait venir déchirer un pacte social rugbystique qui fût le ciment d’un sport qui, regardant le firmament, ne voit pas le sol se dérober sous ses pieds.
Les mésaventures du Stade Nantais, relégué en fédérale3 (sous réserves de recours), vient pointer du doigt une ovalie dont la dichotomie pourrait devenir atavique. Club émergeant, nouvelle parcelle d’un rugby dont l’implantation est voulue sur l’ensemble du territoire, Nantes vit une crise existentielle où les ambitions déclarées de ProD2 et les moyens financiers futurs ne peuvent plus détourner le regard des errances d’un passé ou d’un passif prégnant.
A l’image d’une société actuelle où l’immédiateté et le consumérisme furent des étalons, les stadistes se sont espérées grands avant d’être épanouis . Amateurs il y a encore peu, les Ligériens, éblouis par les fastes et les strass d’un professionnalisme devenu une attraction plus qu’une attractivité, viennent d’entâcher une fois de plus leur projet de club, faute de fondation solide. Cette course au professionnalisme, cette volonté de nouveaux territoires à s’ancrer dans un paysage en recomposition perpétuelle, n’est elle pas l’apanage d’une fracture sociale s’installant entre bastions amateurs et écuries mercantiles ? Très certainement, mais les Nantais n’en sont pas l’unique exemple mais seulement la partie visible d’un iceberg qui fonce à toute allure vers le paquebot ovalie.
Car la partie immergée de cet iceberg sociétal , celle non visible mais dont chaque capitaine croit percevoir l’étendue, se trouve au delà d’un club de la Loire Atlantique , mais bel et bien dans la structuration même du rugby. Pourtant, dans l’adversité d’une crise sanitaire, l’amiral Laporte avait bel et bien tenté de fixer un autre cap qui aurait indéniablement évité d’éventrer la coque d’un navire en pleine houle. Sa volonté initiale était celle d’une saison où solidarité et dynamiques vertueuses, devaient être la marque apposée à une période historique vécue par le ballon ovale.
De la base de la pyramide, la série, jusqu’à son sommet, le Top 14, le nouveau numéro 2 du rugby mondial se voyait imprimer au début de cette crise Covid 19 une constante : des montées sans aucune relégation. Une volonté qui permettait de préserver une équité et une unicité du rugby quelque soit la condition sociale ou sportive des clubs. En clair, un point final sans banni ni proscrit, d’une saison dont la pandémie est venue la ponctuer d’un point virgule.
Mais l’isolationnisme d’une caste (la LNR) est venu fracasser ce rêve devenu pieux, réveillant corporatisme professionnel pour certains et sentiment d’abandon pour d’autres. Car la Ligue Nationale de rugby, en se recroquevillant sur elle même, nonobstant les volontés fédérales, et en coupant les passerelles menant aux élites professionnelles, vient de créer un effet de bord dont les remous pourraient à terme l’ensevelir. En s’obstinant à ne point voir Albi et Massy accéder à son éden sportif et médiatique qu’est la Pro D2, les « Liguards » viennent d’entraîner une cascade de ligues semi-fermées , fractionnant violemment un rugby tricolore déjà en pleine crise existentielle.
Le grand écart social inter-divisions dont les droit TV exponentiels d’année en année ont creusé un fossé devenu douve , faisait déjà d’un joueur de fédérale un prolétaire face à ses confrères de Top 14 et de Pro D2. Mais en se calfeutrant dans un écrin de torpeur entre 30 récipiendaires subdivisés en deux, l’UPCR et la LNR viennent de déterrer un zombie que même les cousins du foot n’avait osé brandir, malgré sa théorisation chronique : les ligues fermées.
En croyant se départir des clubs issus de la fédérale 1, tel un paysan luttant contre les doryphores , l’élite du rugby français risque d’obliger une 3 eme division nationale, elle aussi close, aux romantismes séculaires du sport. Les entités professionnelles fédérales , rejetées par le haut, dans un réflexe grégaire n’ont trouvé qu’une échappatoire: créer leur propre ligue … quasi fermée. Emmenés par des clubs dont le nombrilisme n’a d’égal que la vision court-termiste, les gros bras de la fédérale 1, à grand renfort d’appuis politiques et de chimères économiques, ont fait le siège du président Laporte pour créer une ProD3/Nationale 1.
Sur le papier alléchante, car ne réunissant qu’uniquement des clubs aux enjeux sportifs homogènes, cette nouvelle division ne deviendra-t-elle pas à terme le seuil des écuries professionnelles ayant loupé le wagon Top14/ProD2 ante Coronavirus ? Le risque est grand tant le nombre d’entités en capacités sportives, financières et infrastructurelles d’accéder au Pro D2 peut se compter sur les doigts d’une main (Albi, Massy, Bourg voire Narbonne). Pire encore, combien de clubs d’une fédérale 1 redevenue purement amateur, pourront se permettre d’espérer accéder à cette « Nationale1 » tampon où le professionnalisme discount deviendra plus la norme que la nécessaire préparation à la Pro D2 tant évoquée.
Autre question qui se pose : pour deux ou trois Niort ou qui sait-je un Hyères Carqueiranne, qui dans des temps futurs pourront peut-être espérer accéder à cette division, combien aurons-nous de Lille, Auch, Limoges ou autres Strasbourg, victimes économiques expiatoires de feue la fédérale 1 élite ? Personne ne peut actuellement y répondre et tout le monde espère que Tarbes, Aubenas, Blagnac ou autres, ne seront pas les futures victimes de cette course à l’élite. Là aussi, la question est en suspens, tant le modèle économique de cette Nationale 1 reste à inventer.
La DNACG deviendra-t-elle le véritable juge de paix des transitions inter-divisions professionnelles , laissant l’épopée sportive et les aventures humaines au rang de souvenirs à ranger dans les archives d’un temps révolu. Albi et Massy ou tout autre club voulant accéder au ProD2 devront-ils s’accrocher à de potentiels malheurs de clubs de l’étage au dessus, dans un monde post Covid19, que l’ensemble de la famille rugby espérait raisonné et solidaire ? Une défaillance d’Aurillac, Béziers ou encore de Colomiers, dont le président se complaît dans le statu-quo et d’un certain abus de position dominante (la présidence de l’UPCR) sera-t-elle l’unique optique pour revoir des passerelles se recréer dans un futur proche ?
En tout état de cause, peu de choses peuvent être affirmées mais l’avenir pourrait, après une pause historiquement longue (hors temps de guerre), voir s’opérer une mutation qui partitionnera définitivement le rugby. Et cette fracture sociale qui monte, où le rugby amateur et de clocher se sent tel une variable d’ajustement des intérêts personnels de chacun, ne va-t-elle pas devenir la raison d’une colère sourde , qui pourrait s’exprimer de façon plus prolixe?
Un chose est sûre, la situation politique qui s’annonce ne doit pas se départir d’un sens profond de l’unité du rugby, face à un tournant décisif. Mais pour réussir leur mission, les dirigeants de l’ovalie vont devoir tenter de réduire ou d’annihiler cette fracture sociale amateurs / professionnels, s’ils ne veulent pas assister au divorce de deux rugbys irréconciliables.
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » Jean Monnet
Article rédigé par Loïc Colombié