Les trajectoires du Sporting Club Albigeois et du Rouen Normandie Rugby ont été divergentes durant des lustres avant de devenir totalement convergentes entre 2017 et 2019, générant sans antécédent préalable, une rivalité forte et intense lors de 6 rencontres restées dans les mémoires normandes et tarnaises. Du premier match à Mermoz au cœur de l’automne 2017 à l’épilogue haletant et gorgé de tension à Diochon en mai 2019, retour sur un duel qui a agrémenté de piment l’ancienne Fédérale 1 (et Fédérale 1 Élite) sur fond de course à l’accession en Pro D2 et qui verra ce vendredi au Stadium sa résurgence en Nationale. En clair, un choc entre deux équipes des années 2020 ayant tracé des chemins respectifs bien distincts, se retrouvant certes avec un passif hérité de la décennie précédente et dont raffolent les supporters, mais qui sera joué avec des acteurs (pour la quasi intégralité) étrangers à cette histoire moderne ovalienne Tarno-Normande.
Aujourd’hui, focus sur l’année 2017/2018 ayant vu les Tarnais et les Seinomarins s’affronter à 4 reprises en fédérale 1 Élite dans des duels épiques ponctués de punchlines et de péripéties.

Un contexte sans antécédent.
Tout commence un 25 novembre 2017, au Stade Mermoz, camp de base et stade du Rouen Normandie Rugby, bordé de sa piste cendrée et de son hôtel le jouxtant faisant office de siège social du club. Les chemins ayant mené le SCA et le RNR dans cette poule élite de fédérale 1 sont diamétralement opposés. Rouen, après des années noires grevées par des problématiques financières se restructure autour d’un entrepreneur local ambitieux Jean Louis Louvel et son bras droit Éric Leroy. Le club fanion de Normandie a de forts ambitions pour l’avenir et s’est doté d’un staff articulé autour de l’ancien international anglais : Richard Hill. Fort d’un titre de champion de France 2017 de fédérale 1 (au dépend de Mâcon), le Rouen Normandie Rugby remplit les critères sportifs et financiers d’éligibilité à la poule Élite et découvre donc cette antichambre de la Pro D2 avec un statut de «promu » et un nom à se faire au milieu de bastions historiques du rugby.

Du côté d’Albi, c’est la courbe inversée car les Tarnais, au sortir d’une saison noire et ubuesque émaillée de moult remous internes, les viennent d’être relégués au printemps 2017, quittant le giron de la LNR (Top 14 / Pro D2) pour la première fois depuis 15 ans. Une nouvelle direction autour d’Alain Roumegoux (Président) , Jean Pierre Faure (Vice président) et un staff tout neuf emmené par l’international français (et ancienne idole du Stadium d’Albi lors de l’épopée en Top 14), Arnaud Méla, sont mis en place du côté de la cité épiscopale avec pour mission de faire remonter le club en Pro D2 l’année suivante.

Il y a donc 5 ans quasi mois pour mois, le début d’une rivalité exacerbée allait naître lors de cette 10 eme journée des phases aller de Fédérale 1 Élite. ,Albi qui se bat encore « avec ses fantômes du passé et un syndrome du Stadium » comme le stipule bien Matthieu André, le vice capitaine tarnais, en conférence de presse, prend ce long déplacement à l’extérieur comme un match laboratoire loin du regard exigeant du public albigeois ainsi qu’une mission commando pour récupérer les points échappés à domicile (face à Bourg et Provence) . Albi qui fait office de prétendant assumé à la montée, est branché sur courant alternatif en cet automne 2017.

Du côté de Rouen, l’apprentissage de ce nouvel échelon et la professionnalisation naissante du club sont plutôt laborieuses en ce début de saison 2017/2018. Les Rouennais montrent bel et bien de la qualité, mais les hommes de Richard Hill sont en recherche d’un match référence et déclic pour grimper au classement.

Entre une grande ville du Nord de la France, ayant un territoire entier (la Normandie) soutenant l’émergence du rugby et un bastion provincial de l’ovalie d’antan coachés respectivement par un anglais et un bigourdan du plateau de Lannemezan, le choc des cultures, l’antagonisme sociologique étaient déjà posés d’avance. Mais dès cet acte I, le terrain et ses acteurs allaient livrer une première partie de manivelle sportive.

Acte I : Le hold-up jaune et noir !
En effet sur le pré, le joueurs et le staff allaient se livrer une bataille navale en bord de Seine digne du débarquement de Normandie ponctuée d’un dénouement quasi Hitchcockien. Alors que le match arrive sur sa fin, et que la partie est des plus serrée et tendue, les Rouennais via l’essai d’un jeune ailier isssu de la formation locale (un certain Gabin Villière…) prennent l’ascendant sur la rencontre à la 79eme (16-19).

Les Normands pensent avoir mis l’estocade aux jaunes et noirs, mais c’est sans compter sur l’orgueil cathare des Albigeois, qui quitte à perdre le bonus défensif se lancent dans les grandes manœuvres et à la 82 eme comme le narrera Jeremy Wanin l’entraîneur des 3/4 tarnais : « Sur le renvoi , Romain Barthélémy tape à suivre , Vincent Calas récupère la balle, envoie du jeu, le ballon revient à Romain Barthélémy, qui fait une passe au pied pour Saïmoni Nabaro, un rebond malicieux se joue de la défense normande et voit «Moni »marquer l’ essai de la victoire sur le gong !».

Les Normands sont foudroyés par ce scénario tandis que le SCA exulte et empoche une première victoire à l’extérieur. À l’issue du match, le dénouement de la rencontre a laissé des traces et une première passe d’arme médiatique se déroule. Richard Hill dégaine le premier : «Ce ne sont pas nos adversaires qui nous battent. Nous nous battons nous-même. Albi n’a rien fait d’extraordinaire, il a surtout bien défendu et conservé le ballon avec des pick and go, encore et encore. ». Suivi de près par le futur international Gabin Villière : Ils ont eu de la chance que le ballon leur tombe dans les mains, c’est tout un concours de circonstances.»

Le coach adjoint albigeois, Jeremy Wanin de répliquer : «nous n’avons pas volé le match. ». Les fondations d’une rivalité commençaient en ce mois de Novembre 2017 à poindre le bout de son nez, tandis que les Albigeois rentraient dans le Tarn pour un long trajet retour en bus, entrecoupé d’une bringue mémorable a mi-chemin… à Brive, la patrie d’adoption d’un certain Arnaud Mela.

Acte II : La leçon Normande !
L’épisode suivant se passe déjà dans un climat différent que cela soit en termes de contexte que de météo. En ce 7 avril et avant dernière journée de championnat, le printemps est clément aux pieds de la cathédrale Sainte Cécile, et la course aux playoffs quasi décantée du fait du tour de vis financier procédé par la FFR et la DNACG. Six clubs sur onze ont été interdit de participer aux phases finales (Bourgoin, VRDR, Limoges, Strasbourg, Aubenas et Chambéry) et seul Provence Rugby, Bourg, Tarbes, Albi et … Rouen peuvent prétendre à l’accession en Pro D2.

Dans un stadium paré de ses ambiances de grands soirs , où les anciennes gloires jaunes et noires de Pro D2 et de Top 14 sont présentes , Albi peut encore espérer l’accession directe (en finissant premier des phases régulières) en cas de victoire face aux Rouennais. Du côté des Normands, on vient au Stadium pour se tester et rentrer dans le top 5, manière de démontrer à toute la division que le RNR est capable d’accrocher sa qualification sur le terrain et pas qu’administrativement ou financièrement.

Les suiveurs des lions normands, avec le recul, avoueront que c’est sûrement dans cette rencontre à Albi, que l’ensemble du club a perçu pour la première fois la montée en puissance d’un RNR qui se structure dans tout les secteurs à vitesse grand V.

Le match sera sans appel, et le capitaine albigeois, Romain Barthélémy déclarera après match «On était pas invité » suivi par son coach Arnaud Méla qui ponctuera sa conf d’après match par un singlant : «On est passé à travers ». Du côté de Rouen, le manager, Richard Hill enfoncera le clou en déclarant : «Avec ses multiples fautes, Albi nous a beaucoup aidés…. ».

Albi, au terme de cette rencontre dominée sans conteste par les visiteurs (10-27), se voit donc obligé de passer par les barrages d’accession pour espérer retrouver la Pro D2 et quitte le Stadium penaud sous la bronca d’un public ayant subi une douche froide. Rouen tient sa revanche voire un match référence à l’extérieur, Tarnais et Normands ne sont pas conscients que des retrouvailles épiques se feront quelques semaines plus tard avec un cran de tension en plus .

Acte III : Double confrontation pour une finale!
Alors que rien ne prédestinait Albi et Rouen à se retrouver un mois plus tard, les aléas du sport (une défaite surprise d’Albi chez des Strasbourgeois déjà relégués et en liquidation couplée à une victoire normande au bout du suspense à Tarbes), les clubs tarnais et de la Seine Maritime se recroisent avec la Pro D2 en ligne de mire.

Tout commence à Diochon le 4 mai 2018, où les Normands évoluent pour la première fois, signe avant coureur de la place qu’occupe dorénavant le RNR dans le paysage local. Dans une rencontre serrée où les deux équipes sont rentrés en seconde période sous une folklorique haie d’honneur de vikings Anglo-Normands (en armes et en habits d’époque), on se rend coup pour coup. Ce sont les Rouennais qui dégainent les premiers par l’inévitable Gabin Villière, s’illustrant une fois de plus face aux Albigeois. Mais sur le coup d’envoi, suivant l’international roumain du SCA, Vlad Nistor,répond du tac au tac en inscrivant lui aussi un essai, laissant les abeilles et les lions dos à dos. En clair, quand l’un mord, l’autre pique. S’en suit un mano à mano entre buteurs, Mathieu Peluchon et Romain Barthélemy répondant à l’ouvreur rouennais et portant le score à 16-16 dans le money time.

C’est dans un stade Diochon, retenant son souffle, que Luke Cozens à l’occasion lors des arrêts de jeu, de donner l’avantage sur une pénalité en coin. Le ballon s’envole et passe au dessus du poteau droit, les drapeaux des arbitres se lèvent, les Normands exultent tandis que les Tarnais pestent, estimant que la tentative du 10 du RNR n’est pas passée. Rouen l’emporte sur le gong 19-16.

Un fait de jeu qui cristallise un peu plus la rivalité naissante entre les deux clubs tout comme l’échauffourée éclatant au coup de sifflet final , mais qui va être accentuée une fois de plus lors d’une nouvelle passe d’armes médiatique entre sudistes et nordistes dans la semaine précédent le match retour. Richard Hill déclare après match « Albi ne fait que du pick and go, c’est pas du rugby … », tandis que le président Normand, Jean Louis Louvel met en exergue sur les réseaux sociaux une fourchette albigeoise de Benjamin Caminati sur Gabin Villière , passée au travers du prisme arbitral, qui fait monter d’un cran la température durant la semaine.

Du côté d’Albi, 48h avant la rencontre, le manager des jaunes et noirs, Arnaud Méla, alterne les compliments prémonitoires envers un jeune pilier droit du RNR ( un certain Wilfried Hounkpatin), « Celui ci, les cochons ne le mangent pas, il finira en équipe de France sous 3 ans », tout en renvoyant dans ses 22 son homologue anglais : «J’ aime faire des pick-and-go et ne pas trop parler dans la presse, les polémiques ne font pas avancer les choses!» et de rajouter dans une sémantique guerrière : «Il ne faut pas qu ‘on recule, ne pas perdre un centimètre, cela fait partie du jeu, il faut faire de gros nettoyages, il faut marquer l’ adversaire , c’ est un sport de combat , il faut être dur, faire mal! ». Ambiance …. Le ton de la rencontre était posé.

C’est donc dans un stadium garni de 5400 supporters, que le 11 mai, Albi et Rouen se retrouvent pour un ticket en finale d’access Pro D2. Sous un soleil crépusculaire, les Albigeois débutent fort mal devant leur public et comptent jusqu’à 11 points de retard au cumul des deux rencontres. Cette joute retour tient ses promesses quand les jaunes et noirs à la nuit tombée sortent du bois et finissent tambour battant revenant à 2 points du Rouen Normandie Rugby par la botte de l’inévitable Peluchon.

Les 5 dernières minutes sont étouffantes, à l’image d’une percée rageuse de Tunu Tavalea, les Tarnais sont à deux doigts de faire rompre les descendants de Guillaume le Conquérant et de revenir à égalité parfaite aux points terrain. Albi enchaînes les penaltouch dans les ultimes secondes et pilonne l’arrière garde rouennnaise, faisant le siège du duché de Normandie.

Mais est-ce les phrases de Richard Hill qui résonnèrent d’un coup dans les têtes tarnaises, car les jaunes et noirs abruptement se mettent à changer le fusil d’épaule et subitement à écarter le cuir. Deux passes plus tard et un malheureux en avant ponctuant l’action, Rouen glane une mêlée et envoie le ballon très loin dans les tribunes du Stadium. Une chape de plomb s’abat sur la cité épiscopale tandis que le Rouen Normandie Rugby se dirige en finale pour défier l’USBPA.

Abattu, Arnaud Mela déclare à chaud, «C’est un échec personnel, un échec pour tout le groupe ! » tandis qu’un brin taquin Richard Hill, lui, lance une punchline ferroviaire : «Le train continue de rouler, on ne peut plus arrêter le train depuis Janvier.». Contrairement aux prédictions du coach britannique, le « Normandie express » s’arrêtera quinze jours plus tard en gare de Bourg en Bresse.

Un rivalité entre chiens et chats est née et l’antagonisme de nos chocs Tarno-Normand, trouvera son paroxysme dans l’épisode suivant (saison 2018/2019) avec un épilogue s’étant écrit dans les mémoires collectives . Mais cela est une autre histoire…

Article rédigé par Loïc Colombié

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